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II. Réaction élémentaire

mise à jour : 29-01-2012


II. Réaction élémentaire







Nous avons vu au chapitre précédent que la notion de réaction dépasse l'idée que des réactifs se transformeraient simplement en produits, et implique de prendre en compte le détail de ces transformations et la présence d'éventuels intermédiaires. Ce qu'on appelle réaction est en réalité, le plus souvent pour ne pas dire toujours, un ensemble de réactions élémentaires constituant le mécanisme réactionnel, se déroulant simultanément et dans le même lieu.


Il est donc fondamental de préciser la notion de réaction élémentaire, d'énoncer quelques principes et d'en décrire les caractéristiques fondamentales. Nous ne ferons qu'évoquer les différentes théories cinétiques qui s'y rapportent, abondamment traitées dans beaucoup d'ouvrages, et d'autre part finalement peu utiles d'un point de vue pratique pour la suite de notre propos.

re-création : élémentaire, mon cher ...

Les réactions élémentaires peuvent être classées dans un nombre relativement restreint de catégories, et constituent ainsi les pierres dont on dispose pour proposer et étudier un mécanisme. Nous étudierons au chapitre suivant les caractéristiques cinétiques propres aux réactions élémentaires prises isolément.


On emploie couramment les termes "étape" ou "processus" élémentaires, au lieu de "réaction", qui nous semble mieux choisi :
- "étape" désigne principalement une "halte temporaire"... ce n'est justement pas le cas ici ! Et cela irait dans le sens d'une vision erronée trop fréquente selon laquelle les choses se passeraient l'une après l'autre. Au figuré, ce terme désigne une "période" dans une évolution , cela n'est pas mieux ; ou un "point important", ce dernier sens pourrait à la rigueur convenir, mais cela manque de précision.
- "processus" désigne une suite d'opérations aboutissant à un résultat... pas vraiment élémentaire donc ! Ce terme conviendrait mieux pour désigner le mécanisme réactionnel tout entier.

A vrai dire, le terme même de réaction, qui désigne une action en retour, engendrée par une autre et lui étant opposée, n'est peut-être pas le mieux choisi. A moins de considérer que la réaction chimique est toujours consécutive à une autre action (apport d'énergie par exemple... mais c'est quelquefois le contraire !), le terme "transformation" semblerait plus juste. Toutefois, "réaction" fait tellement partie du langage des chimistes qu'il est totalement exclu de le remettre en cause !



1. Notion de réaction élémentaire


1.1. Définition


Ce qu'on entend par réaction élémentaire pourrait être défini comme ce qui fait le lien entre le niveau microscopique (des molécules individuelles, du ressort de la dynamique moléculaire) et le niveau macroscopique (des molécules vues dans leur collectivité, du ressort de la cinétique).

Du point de vue microscopique elle représente un acte réactionnel élémentaire bien réel : telle ou telle molécule va effectivement se transformer comme l'indique la réaction élémentaire. Tandis que du point de vue macroscopique c'est une notion purement théorique puisqu'on ne peut pas l'isoler de tout ce qui se passe, statistiquement, autour d'elle.

On la représente d'une façon générale sous la forme :


Réactifs  →  Produits     (r 1)


le nombre de molécules de réactifs est appelé la molécularité de la réaction élémentaire :

- réactions monomoléculaires :   A  → produits   

- réactions bimoléculaires :   A + B → produits ; 

                                              2 A → produits (un seul réactif, mais deux molécules réagissent)

- les réactions élémentaires trimoléculaires sont très rares (la rencontre simultanée de trois molécules différentes est très peu probable dans des conditions ordinaires) et une molécularité supérieure n'est pas envisageable.

D'un point de vue strictement microscopique, la réaction élémentaire, ou plutôt l'acte réactionnel élémentaire, a pour caractéristiques :

- le ou les réactifs sont seuls à l'origine de l'acte réactionnel ; deux situations sont possibles :

        - un seul réactif : une molécule seule se transforme ou se divise

        - plusieurs réactifs : des molécules différentes doivent se rencontrer pour effectuer une transformation

- le ou les produits sont le pur résultat d'une action et n'interagissent pas sur son déroulement.

L'acte réactionnel s'accompagne évidemment d'un échange d'énergie avec le milieu.


Du point de vue macroscopique qui est le notre, on est obligé de nuancer ces observations. En effet, réactifs et produits ne désignent pas des molécules isolées, mais des molécules en grand nombre, à une concentration donnée dans un milieu réactionnel donné. Ainsi, la probabilité pour qu'un acte réactionnel ait lieu, et donc la vitesse instantanée de la réaction élémentaire, dépend de ce milieu réactionnel, et en particulier :

 - pour un réactif unique, cette probabilité est d'autant plus grande que sa concentration est plus élevée (proportionnelle en général)

 - lorsqu'il y a N réactifs, il s'agit d'une probabilité de rencontre, proportionnelle en général au produit de leurs concentrations ; compte tenu des concentrations habituelles, cette probabilité tombe donc très vite lorsque N augmente.

 - un produit peut être aussi un réactif, de sorte que macroscopiquement il peut agir sur le déroulement de la réaction puisque sa concentration comptabilise sa consommation et sa production (c'est le cas par exemple pour les réactions autocatalytiques A + B → 2 B, où la concentration du réactif B augmente au cours du temps). Ce point est évidemment capital pour la cinétique.


1.2. Bilans, coefficients stœchiométriques

Toute réaction élémentaire doit évidemment satisfaire aux lois de conservation de matière et de charges électriques. Plus précisément elle doit satisfaire aux trois bilans élémentaires suivants :

bilan atomique : tout atome doit se retrouver à gauche et à droite en nombre égal, de sorte qu'au cours de la réaction, le nombre total de cet atome ne varie pas

bilan des charges électriques : les sommes algébriques des charges à gauche et à droite doivent être égales

bilan des radicaux : le nombre total de radicaux mis en jeu (gauche + droite) doit être pair (0 ou 2 en général)


L'opération usuelle d'équilibrer la réaction consiste à affecter à chaque espèce un certain nombre, appelé coefficient stœchiométrique, dans le but de satisfaire ces trois bilans. Rappelons que, s'agissant du bilan global d'une réaction, pas forcément élémentaire, ces coefficients sont souvent déclarés définis "à un facteur de proportionnalité près", ce qui est correct d'un point de vue strictement macroscopique, mais ne correspond pas à la réalité de la transformation chimique. Du point de vue de la réaction élémentaire, on ne peut se satisfaire d'une telle définition : les coefficients stœchiométriques doivent refléter le nombre exact de molécules réellement impliquées dans un acte réactionnel élémentaire, ils sont donc parfaitement déterminés, de sorte qu'on aie toujours :

∑ (coefficients stœchiométriques des réactifs) = molécularité 

comme l'exige la définition même de la molécularité. Nous verrons l'importance de cette définition précise des coefficients stœchiométriques dans l'écriture des équations cinétiques.


1.3. Principes fondamentaux


Principe du moindre changement de structure :
une réaction élémentaire doit impliquer le minimum de changements de structure possible de ses réactifs.

Ce principe devrait toujours être présent à l'esprit lorsqu'on écrit les réactions élémentaires constitutives d'un mécanisme.

Un changement de structure peut être, par exemple (liste non exhaustive) : la rupture (homolytique ou hétérolytique) d'une liaison covalente ou sa formation par combinaison de deux radicaux ou de deux ions (ex. : C2H6 →2 CH3•), le transfert d'un électron, d'un proton ou d'un atome, etc. et bien sûr un réarrangement interne (transformation en un isomère). On considère également comme élémentaire une réaction pour laquelle on ne sait pas dissocier la coupure d'une liaison de la formation "simultanée" d'une autre liaison (ex. : Cl• + CH4 →HCl + CH3•).

On peut ainsi donner une version plus réaliste du principe de moindre changement de structure :

toute réaction impliquant la rupture de 2 liaisons (ou plus) et la formation de 2 liaisons (ou plus) ne doit pas être considérée comme une réaction élémentaire.



exemple de réaction non élémentaire :


H2 + Br2 → 2 HBr     (r 2)

pour effectuer cette transformation, il faut :
- couper la liaison H-H
- couper la liaison Br-Br
- former 2 liaisons H-Br

La réaction (r 2) n'est donc pas une réaction élémentaire. Les réactions élémentaires qu'elle cache peuvent s'écrire :


coupure d'une liaison :

Br2 → 2 Br•     (r 3)

formation d'une liaison, en sens inverse :

2 Br• → Br2     (r 4)

coupure d'une liaison et formation d'une liaison :

Br• + H2 → HBr + H•     (r 5)

et

H• + Br2 → HBr + Br•     (r 6)

En réalité, d'après certains auteurs, les réactions r 3 et r 4 seraient bi- et trimoléculaire, respectivement, et devrait s'écrire 2 Br• + M ⇄ Br2 + M , M désignant n'importe quelle molécule présente dans le milieu, ou les parois du réacteur (voir : Théorie de Lindemann).

Par contre, la réaction

H2 + I2 → 2 HI     (r 7)

est habituellement considérée comme une réaction élémentaire... preuve que l'application stricte du principe de moindre changement de structure n'est pas toujours possible.



L'application du principe du moindre changement de structure est importante, pour au moins deux raisons. D'abord, en ne le faisant pas, on prendrait le risque d'omettre des éléments déterminants du mécanisme tels que, par exemple, la présence d'intermédiaires. Ensuite, l'affirmation qu'une réaction est élémentaire permet d'affirmer également que sa loi de vitesse est simple : l'ordre est alors égal à la molécularité.


Principe de réversibilité microscopique :

Ce principe (appelé aussi principe de microréversibilité) a été l'objet de nombreuses formulations (et controverses), dont certaines sont confuses, d'autres erronées ou incomplètes. Cette confusion semble venir du fait qu'on s'efforce de l'énoncer en une phrase unique alors qu'en réalité il s'agit d'un principe double. Nous reprenons ici la formulation originelle de Tolman, cité par Denbigh (The principles of Chemical Equilibrium), que nous énonçons en deux points pour plus de clarté :
1- tout chemin réactionnel traversé dans une direction peut aussi être traversé dans la direction inverse (c'est là l'aspect "microscopique")
2- à l'équilibre (thermodynamique) les fréquences (moyennes) des transformations dans le sens direct et inverse sont égales (égalités des vitesses, échelle macroscopique)

Ce principe implique en fait que toute réaction élémentaire est réversible, du moins potentiellement. La contradiction avec l'idée de réaction totale n'est qu'apparente : en effet, si la constante de vitesse dans le sens inverse est nulle (ou négligeable), ce qui fait que la réaction est totale, à l'équilibre la vitesse directe sera nulle elle aussi, et donc égale à la vitesse inverse. Le principe de la réversibilité microscopique n'impose donc pas, en réalité, d'écrire toutes les réactions élémentaires sous forme réversible.

Principe de l'équilibre détaillé :

Il s'agit en réalité d'un corollaire du principe de réversibilité microscopique :

- dans une réaction globale mettant en jeu plusieurs réactions élémentaires (réversibles), à l'équilibre global du système, chaque réaction élémentaire se trouve elle-même à son équilibre thermodynamique.

Cela signifie donc que les vitesses directes et inverses de chaque réaction élémentaire réversible doivent être égales à l'équilibre.

Cela peut avoir des conséquences sur le choix des réactions élémentaires que l'on fait figurer dans un mécanisme, ou imposer des contraintes supplémentaires sur les lois de vitesse dans le cas de réactions élémentaires réversibles en boucle (par exemple : A ⇄ B  ;  B ⇄ C  ;  C ⇄ A).

complément : Conséquences du principe de l'équilibre détaillé

Ce principe est quelquefois malencontreusement appelé "du bilan détaillé", en traduction (mauvaise) de l'anglais "detailed balance".



1.4. Réactions pseudo-élémentaires

En pratique, on sera amené à considérer certaines réactions comme élémentaires et à les introduire dans un mécanisme. Seule la confrontation aux résultats expérimentaux pourra dire si on a eu raison ou tort... jusqu'à preuve du contraire !

En effet, on n'est jamais totalement sûr qu'une réaction soit rigoureusement élémentaire ; on peut même être presque sûr du contraire mais ne pas en connaître le détail. On peut même savoir pertinemment qu'une réaction n'est pas élémentaire, mais par le biais d'approximations justifiées la considérer comme telle. Ce sera le cas par exemple des réactions photochimiques que nous étudierons ultérieurement.

On parlera alors de réactions pseudo-élémentaires, et on fera l'hypothèse qu'elles se comportent, du point de vue cinétique, comme des réactions élémentaires.


Les réactions monomoléculaires vraiment élémentaires sont en réalité très rares. Il peut s'agir d'isomérisation (par exemple du cyclopropane en propène) , de décomposition d'une molécule en deux radicaux ou d'un radical libre en un autre radical et une molécule.

Le plus souvent, il s'agit en réalité de réactions bimoléculaires dont le deuxième "réactif" est de concentration constante ou quasi constante, soit parce qu'il est en large excès, comme le solvant, soit parce qu'il est régénéré, comme un catalyseur (à rapprocher de l'exemple de réaction bi- et trimoléculaire mentionnée ci-dessus : 2 Br• + M ⇄ Br2 + M). Voir : Théorie de Lindemann.



2. Vitesse de la réaction élémentaire


Ayant défini ce qu'on entend par réaction élémentaire, il faut maintenant en préciser la notion de vitesse, partant de la définition très générale que nous avons donné au chapitre I. Nous considérons donc une réaction élémentaire de la forme :

ν1 X1 + ν2 X2 + ... → ν'1 X1 + ν'2 X2 + ...     

où Xi désigne une espèce quelconque, pouvant être un réactif, un produit ou les deux. Ses coefficients stœchiométriques en tant que réactif et produit, νi et ν'i , respectivement, sont des entiers positifs ou nuls, désignant le nombre exact de molécules consommées ou produites lors d'un acte réactionnel élémentaire.

Pour fixer les idées, nous utiliserons en parallèle la réaction à trois espèces :

H2 + I2 → 2 HI     (r 7)

dans laquelle : ν1 = ν2= 1 ; ν3 = 0 ; ν'1 = ν'2 = 0 et ν'3 = 2.

Nous considérons cette réacton uniquement comme un support des explications et nous la supposons élémentaire.



2.1 Du microscopique au macroscopique


Lors d'un acte réactionnel élémentaire le nombre total Ni de molécules Xi varie d'une quantité constante : ν'i − νi .

Ainsi, lors d'une collision d'une molécule H2 et d'une molécule I2, par exemple, NH2 et NI2 font un saut de −1 et NHI fait un saut de +2. Dans l'espace réactionnel dont les axes représentent les nombres de molécules NH2, NI2 et NHI, le point M représentant le système effectue donc également un saut suivant le vecteur constant {−1, −1, +2 }, ou, dans le cas général, { ν'1−ν1, ν'2−ν2, ν'3−ν3, ... } comme indiqué sur la Fig. II.1 (haut).

Le déroulement de la réaction n'étant rien d'autre qu'une succession d'actes élémentaires semblables à celui-ci, il s'ensuit que :

1 - Dans l'espace réactionnel, le point M se déplace au cours du temps sur une droite parallèle au vecteur-réaction ci-dessus (Fig. II.1 bas).

2 - Le nombre de molécules de chaque espèce à l'instant t s'exprime en fonction du nombre de molécules initial par une relation de la forme :

Ni(t) = Ni(0) + (ν'i − νi) q(t)     ∀ i     (1)

q(t) est une fonction scalaire commune à toutes les espèces, égale au nombre d'actes élémentaires ayant eu lieu à l'instant t.


avancement microscopique

Niveau microscopique : les actes élémentaires se succèdent, chacun se traduisant dans l'espace réactionnel par un saut suivant le vecteur constant { −1 , −1, + 2 } (pour H2, I2 et HI respectivement)



avancement macroscopique

Il en résulte macroscopiquement une trajectoire rectiligne M0M, parallèle au vecteur { −1 , −1, + 2 } (M0 a été choisi arbitrairement tel que NH2 = NI2 et NHI = 0).


Fig. II.1      Déroulement de la réaction    H2 + I2 → HI      (r 7)


Au niveau macroscopique, pendant un intervalle de temps δt, le nombre d'actes élémentaires δq correspondant est très grand et la fonction q(t) peut être considérée comme une fonction continue. Ainsi, en passant au nombre de moles ni et en posant

ξ  =  q / NA  =  ni / (ν'i − νi)     ∀ i 

(NA = nombre d'Avogadro), ξ étant appelé l'avancement de la réaction élémentaire, on peut écrire :

δni  =  ni(t + δt) − ni(t)  =  (ν'i − νi) δξ

ou

δξ  =  δni / (ν'i − νi)     ∀ i      (2)

et, par unité de temps :

limδt →0 δξ / δt  =  dξ / dt  =  (dni / dt) / (ν'i − νi)     ∀ i      (3)

et en considérant le volume V du système, on définit une grandeur intensive :

r (t)  =  (dξ / dt) / V  =  (dni / dt) / [(ν'i − νi) V]     ∀ i       (4)

qui définit la vitesse volumique de la réaction élémentaire.

Cette définition est bien en accord avec la définition générale que nous avons donné au chapitre I. Soulignons de nouveau qu'il s'agit d'une fonction scalaire commune à toutes les espèces, de sorte qu'une réaction élémentaire est toujours monovariable. Ceci est une conséquence du vecteur-réaction constant de l'acte élémentaire, qui n'est lui même que la conséquence des équations de conservation.

Passant aux concentrations Ci = ni /V, et le volume étant constant selon nos hypothèses générales H1, l'expression de la vitesse volumique devient :

  r  =  (dCi / dt) / (ν'i − νi)     ∀ i      (5) 

Nous utiliserons cette expression le plus souvent sous sa forme inverse :

dCi / dt  =  (ν'i − νi) r     ∀i

L'unité de vitesse dans le système SI est mol.m-3.s-1, mais en pratique on utilise souvent mol.L-1.s-1.


Dans toute situation ne répondant pas aux hypothèses H1, il est important de considérer l'expression générale (4) et non l'expression (5). Si le volume n'est pas constant, par exemple, l'expression (4) permet de dériver la vitesse volumique :

r  =  [V dCi / dt + Ci dV / dt] / [V(ν'i − νi) ]  =  [ dCi / dt + Ci d ln V / dt ] / (ν'i − νi)

( application de (uv)' = u'v+uv' : u = Ci ; v = V


Ainsi, la vitesse volumique de la réaction r 7 s'écrit :

r  =  −dH2/dt  =  −dI2/dt  =  (dHI/dt) / 2

H2, I2 et HI désignant les concentrations de ces espèces, ou, sous la forme inverse :

dH2/dt  =  dI2/dt  =  −r 

dHI/dt  =  2 r


Si l'on dispose d'une courbe expérimentale donnant la concentration d'une espèce en fonction du temps, l'utilisation de la relation (5) permet d'en déduire la vitesse volumique de réaction (Fig. II.2).


variation de la concentration de H2

Fig. II.2

Exemple de courbe expérimentale : évolution de la concentration ou de la pression partielle de H2 au cours de la réaction r 7 :

H2 + I2 → 2 HI

La pente correspondant à l'instant t est égale à la dérivée d[H2]/dt, et on peut en déduire la valeur de la vitesse r, en particulier la vitesse initiale, que l'on doit trouver proportionnelle aux concentrations initiales de H2 et I2 dans ce cas particulier.

Si l'on disposait d'une courbe d'évolution de la concentration de HI, on aurait p = d[HI]/dt et r = 2 p.



Il est souvent commode d'utiliser l'avancement volumique x = ξ / V et de décrire une réaction par un tableau d'avancement du type ci-dessous, établi par exemple pour la réaction r 7 :

(r 7) H2 I2 2 HI
t = 0 [H2]0 [I2]0 [HI]0
t [H2]0 − x [I2]0 − x [HI]0 + 2x


3. Loi de vitesse, équations cinétiques


Ayant défini la vitesse, r, d'une réaction élémentaire, il faut maintenant préciser comment écrire sa loi de vitesse (ses lois de vitesse si elle est réversible), c'est-à-dire ce qui la relie à l'état du système à l'instant t, plus précisément aux concentrations des différents constituants. Ainsi, remplaçant la vitesse par l'une de ses expressions (4 ou 5) en fonction du nombre de moles ou de la concentration d'une espèce, on obtiendra l'équation cinétique déterminant l'évolution de cette espèce.


3.1. Influence de la température - Relation d'Arrhenius


Supposons que la loi de vitesse soit de la forme générale :

r = k f (Ci)     (6)

où k, appelé la constante de vitesse, dépend de la température et f(Ci) est une fonction des concentrations pratiquement indépendante de la température.

On peut montrer expérimentalement que k varie en fonction de la température absolue suivant la relation empirique d'Arrhenius :

  k = A e − Ea / (RT)     (7)  

La constante A a la même dimension que la constante de vitesse k et est appelée facteur préexponentiel, facteur d'Arrhenius ou encore facteur de fréquence.

Ea, appelée énergie d'activation (d'Arrhenius) est exprimé en J.mol-1 si l'on prend la constante universelle des gaz R = 8.314 J.mol-1.K-1 et T en Kelvin.

S'il est possible de déterminer les constantes de vitesse k à plusieurs températures, on peut en déduire facilement les valeurs du facteur préexponentiel et de l'énergie d'activation. En effet la relation (7) peut se mettre sous la forme :

ln k = ln A − Ea / (RT)     (8)

En portant les valeurs de ln k en fonction de 1/T, on doit donc obtenir une droite de pente −Ea/R et d'ordonnée à l'origine ln A.

La relation d'Arrhenius s'avère expérimentalement valable pour un grand nombre de réactions. Les principales déviations surviennent aux hautes températures, généralement à cause de l'apparition de nouvelles réactions, ou, à basse température en catalyse hétérogène. Nous en retiendrons simplement ici la possibilité d'introduire la température dans les constantes de vitesse.


Différentes théories tentent de préciser la loi de vitesse d'une réaction élémentaire.

La théorie des collisions s'appuie sur l'idée intuitive que la vitesse doit être proportionnelle à la probabilité de chocs entre les molécules, donc d'une certaine manière aux concentrations. Mais, et malgré des raffinements successifs, les valeurs de la constante de vitesse, k, qu'elle prévoit, en fonction de la température particulièrement, sont en désaccord total avec les observations expérimentales (et la relation d'Arrhenius). Elle n'est donc pratiquement plus utilisée, sauf pour le calcul des constantes de vitesse des réactions de recombinaison des radicaux libres.

A la différence de la précédente, la théorie du complexe activé (M. G. Evans, M. Polanyi et H. Eyring) prend en compte ce qui se passe au niveau intra et inter moléculaire au moment où les molécules s'apprêtent à réagir et s'appuie sur la notion d'un état de transition. Une cartographie des énergies potentielles des différents états du système permet de tracer un chemin réactionnel. Cette théorie est en assez bon accord avec les observations expérimentales et la relation d'Arrhenius, pour des amplitudes de température de l'ordre de la centaine de degrés. Toutefois, elle indique que le facteur préexponentiel, A, serait lui même fonction de la température.


Pour tenir compte de l'influence de la température sur le facteur préexponentiel, dans le cas où le graphe de la relation (8) ci-dessus n'est pas linéaire, on peut être amené à utiliser la forme empirique "non-Arrhenius" :

k = B Tn e −E' / (RT)     (9)

où B et E' sont des constantes et où l'exposant n varie en général de 0 à 5 mais peut atteindre 10.

re-création : insectes-thermomètre... cinétiques


D'autre facteurs que la température peuvent affecter la constante de vitesse. Citons simplement : la permittivité relative pour les réactions ioniques, les effets de solvant, la pression, etc. Cela peut amener à apporter des correctifs aux expressions précédentes. Pour ce qui nous concerne, nous entendrons par constante de vitesse la constante dans des conditions données, considérées comme invariantes au cours de la réaction.

La théorie des collisions, comme celle du complexe activé ne peut s'appliquer aux réactions monomoléculaires, bien qu'il existe des réactions se comportant comme telles. Pour résoudre cette contradiction, Lindemann a proposé un mécanisme basé sur le choc de la molécule réactive avec n'importe quelle particule du milieu réactionnel. complément : Théorie de Lindemann

Lorsque la réaction est très rapide, en phase liquide, un autre facteur limitant est la diffusion moléculaire. On parle alors de réaction contrôlée par la diffusion. Pour une réaction bimoléculaire contrôlée par la diffusion, la constante de vitesse est de l'ordre de 109 mol-1Ls-1. On considère donc cette valeur comme une limite supérieure des constantes de vitesse que l'on peut raisonnablement affecter. Si une constante de vitesse expérimentale, kexp, est trouvée dans cet ordre de grandeur, il a été démontré qu'elle est reliée à la valeur de k "sans diffusion" par la relation :

1 / kexp = 1 / k + 1 / kD     (10)

avec kD = 4πDρ0NA ≈109 mol-1Ls-1 (D est la somme des coefficients de diffusion des deux molécules dans le milieu, ρ0 leur distance d'approche réactionnelle, NA le nombre d'Avogadro). Cette relation permet, connaissant kexp, d'estimer k et par conséquent l'énergie d'activation.

La question ne se pose naturellement pas pour les vraies réactions monomoléculaires, mais elle se pose de la même façon pour les réactions pseudo-monomoléculaires.


3.2. Loi d'action de masse


Paradoxalement, c'est à l'étude des équilibres chimiques, c'est-à-dire l'état final des réactions réversibles, et non à une étude directement cinétique, que l'on doit la loi de vitesse des réactions élémentaires la plus utilisée. En effet, la loi d'action de masse relie les concentrations à l'équilibre à une constante KT, dite constante d'équilibre, qui ne dépend que de la température :

  KT = ∏ Ci,eν'i  / ∏ Ci,eνi 

Ci,e désigne la concentration de l'espèce i à l'équilibre, et ν'i son coefficient stœchiométrique si elle figure "à droite", νi si elle figure à gauche.

Ainsi, pour la réaction élémentaire réversible :

αA + βB ⇄ γC + δD      (r 8)

KT = ([C]eγ.[D]eδ) / ([A]eα.[B]eβ)     (11)


La loi d'action de masse rend compte correctement des observations expérimentales de déplacement des équilibres par les concentrations. Dès lors, puisque les vitesses à l'équilibre, directe r'0 , et inverse r'1, doivent être égales, et considérant les lois de vitesse les plus simples, c'est-à-dire pour lesquelles l'ordre est égal à la molécularité, on peut écrire :

r'0 = k0 [A]eα.[B]eβ     (12)

r'1 = k1 [C]eγ.[D]eδ     (13)

et comme  r'0 = r'1

k0 [A]eα.[B]eβ  = k1 [C]eqγ.[D]eqδ

d'où l'on retrouve l'équation (11) :

([C]eγ.[D]eδ) / ([A]eα.[B]eβ) = KT = k0 / k1


Or si les lois de vitesse à l'équilibre sont de la forme (12) et (13), il n'y a guère de raisons qu'elles soient différentes hors équilibre. Nous écrirons donc les lois de vitesse dite d'action de masse :

  r0 = k0 Aα.Bβ     (14)

  r1 = k1 Cγ.Dδ     (15)

r0, r1 étant les vitesses courantes et A, B, C et D les concentrations courantes.


D'une façon générale, pour une réaction élémentaire quelconque, nous utiliserons ce type de loi de vitesse et nous écrirons donc :

 r = k ∏ Riνi     (16) 

Ri désignant les concentrations des réactifs et νi leurs coefficients stœchiométriques en tant que réactif.

En effet, une espèce peut-être à la fois réactif et produit de la réaction, comme nous le verrons dans le cas de l'autocatalyse. Le coefficient stœchiométrique à utiliser comme exposant dans la loi de vitesse est bien évidemment son coefficient stœchiométrique en tant que réactif, et non ν'i − νi.


Comme le souligne J. Villermaux, la vitesse chimique, qui ne dépend que de la composition locale et instantanée, et des variables d'état (température et pression) , est une fonction d'état, dont la loi de vitesse est l'expression. Cette remarque est à rapprocher de l'autonomie de la réaction chimique (chapitre I 2.2)


3.3 Equations cinétiques


La vitesse d'une réaction élémentaire, comme nous l'avons définie, se rapporte au nombre d'actions élémentaires par unité de temps. Ainsi, dans notre réaction exemple r 7 de synthèse de HI, H2 ayant 1 pour coefficient stœchiométrique, 1 molécule H2 est consommée lors d'une action élémentaire, de même pour I2, et 2 molécules HI sont produites. Si cette réaction élémentaire est seule à l'œuvre, on pourra donc écrire le système d'équations différentielles décrivant sa cinétique :

dH2/dt  =  (−1) r     (17)

dI2/dt  =  (−1) r     (18)

dHI/dt  =  (+2) r     (19)

avec r = k H2 I2.

  

La forme générale des équations cinétiques d'une réaction élémentaire est donc :

 dCi/dt  = (ν'i−νi) r    (20) 

ν et ν' désignent les coefficients stœchiométriques des espèces en tant que réactif et produit, respectivement.


On voit ici l'importance de la définition précise des coefficients stœchiométriques (voir la section 1.3 de ce chapitre) : ils doivent traduire la réalité moléculaire de la réaction élémentaire. Ainsi, il se peut que le plus petit de ces coefficients doive être supérieur à 1.

Imaginons par exemple une réaction d'isomérisation qui nécessiterait la rencontre de 2 molécules pour se produire : 2 A → 2 B (ou de dimérisation : 2 A → A2), dont l'équation cinétique de A est dA/dt = −2kA2. Il ne serait correct, ni du point de vue de la loi de vitesse (r = kA2), ni de son coefficient dans l'équation cinétique (dA/dt = −2r), de réduire cette réaction à : A → B, dont l'équation cinétique est dA/dt = −kA.


Si la réaction élémentaire n'est pas seule à l'œuvre, l'équation cinétique d'une espèce doit prendre en compte toutes les réactions élémentaires où elle est impliquée. Nous n'évoquerons pour l'instant que le cas d'une réaction élémentaire réversible. Supposons, par exemple, que ce soit le cas de la réaction r 7, qui s'écrirait alors :

H2 + I2  ⇄  2 HI     k0, k1     (r 9)

la vitesse directe serait alors r0  = k0 H2 I2, et la vitesse inverse r1 = k1 HI2. Les équations cinétiques deviendraient :

dH2/dt  =  dI2/dt  =  −0.5 dHI/dt  =  −r0 + r1     (21)


Les équations différentielles, prises dans leur ensemble (le système complet), peuvent être considérées comme des équations de "bilan instantané de matière" : elles comptabilisent ce qui est produit et consommé par unité de temps à un instant donné :

(dans le cadre de nos hypothèses H1)

Variation de X = Consommation + Production

la consommation étant comptée négativement.



Nous utiliserons dans la suite les lois de vitesse d'action de masse, qui décrivent correctement une très grande majorité de réactions et sont simples d'emploi. Mais il est important de remarquer que l'on peut utiliser des lois de vitesse différentes sans changer la structure générale des équations ci-dessus. Par exemple, on peut y prendre en compte l'activité au lieu des concentrations.